Hitler vu par ses contemporains

Publié le par jp




Hitler vu par ses contemporains
(un article du site www.Herodote.net)


C'est un fréquent anachronisme que de juger les contemporains de Hitler d'après ce que nous savons de la fin du nazisme. Mettons-nous un instant à la place de nos aïeux qui assistèrent en 1933 à la prise de pouvoir de Hitler.

Dans les 5 ou 6 ans qui suivent la Grande Guerre de 1914-1918, les opinions publiques européennes sont bouleversées par les horreurs perpétrées par les bolcheviques (plus tard appelés communistes) en Russie et en Hongrie
.

L'Allemagne démocratique, en proie à une crise morale et économique, semble sur le point de sombrer à son tour dans la guerre civile pendant l'«année inhumaine» de 1923.

Dans le même temps, en Italie, Mussolini, un socialiste repenti, inaugure une nouvelle forme de pouvoir autoritaire qu'il présente comme une troisième voie entre le communisme et le capitalisme. Ses apparents succès lui valent l'estime des démocrates, y compris du plus grand d'entre eux, Churchill
 ! Un seul meurtre lui est reproché, celui du député d'opposition Matteoti.

Dans les années 1920, les épigones de Mussolini foisonnent : Salazar au Portugal, Horthy en Hongrie, Pilsudski en Pologne, Dollfuss en Autriche... Il semble que la démocratie à l'anglo-saxonne soit condamnée en Europe continentale. Le cardinal Eugenio Pacelli, futur Pie XII, n'est pas loin de partager ce point de vue avec la plupart de ses contemporains.

à la fin des années 1920, l'Allemagne et l'Europe occidentale sortent enfin du chaos de l'après-guerre. Les citoyens allemands s'accommodent de la nouvelle donne issue du traité de Versailles
et l'on parle de part et d'autre du Rhin de réconciliation et même d'union européenne.

Tout est chamboulé en 1929 avec le Jeudi noir
de Wall Street et, en URSS, le durcissement du régime stalinien. L'Allemagne replonge dans une grave crise économique et politique qui fait le jeu des nazis et des communistes.

Beaucoup d'Allemands pensent que Hitler pourrait, comme le Duce italien, remettre leur pays sur pied, laver l'humiliation du traité de Versailles et éviter une dictature communiste prorusse !...

Quelques milliers d'israélites allemands quittent leur pays par précaution en 1933, après la prise de pouvoir de Hitler ; mais beaucoup y reviennent l'année suivante, considérant que le danger est derrière eux. Personne n'est alors en mesure de soupçonner la suite.

Edith Stein, philosophe d'origine juive, convertie au catholicisme et entrée au Carmel, fait exception. Dès avril 1933, elle écrit une lettre prophétique au pape Pie XI où elle dénonce l'ignominie du nazisme et les dangers que fait courir à l'humanité «l'idôlatrie de la race» (le contenu de cette lettre a été dévoilé en 2003 par le Vatican).

les lois antisémites

Dans un discours qui fait suite à la promulgation des lois antisémites, Hitler les justifie en assurant qu'elles devraient stabiliser les relations entre «Juifs» et «Aryens»...

Dès le 1er avril 1933, un mois après sa prise de pouvoir, le dictateur a lancé un boycott des commerces tenus par des Juifs pour protester contre l'appel au boycott des exportations allemandes. Mais les violences antisémites se sont ensuite tassées... Si bien que des israélites allemands qui avaient fui le pays à l'avènement de Hitler osent y revenir.

Les militants nazis, dans leur impatience de voir l'Allemagne libérée des Juifs («judenfrei»), multiplient les exactions et les brimades à leur égard.

Sur un peu plus de 500.000 juifs allemands, il en restera encore près de 300.000 en 1938, quand les nazis organiseront le pogrom
de la « Nuit de Cristal », et un peu plus de 200.000 au début de la Seconde Guerre mondiale. Les autres auront pris la précaution d'émigrer avant qu'il ne soit trop tard, en faisant le sacrifice de leurs biens.

Trente mois après la prise de pouvoir par les nazis, les lois antisémites de Nuremberg inaugurent un processus d'exclusion qui va déboucher sur la «Solution finale de la question juive» et les crimes que l'on sait.

Genèse de l'antisémitisme nazi

Les lois antisémites de Hitler ne sont pas issues brutalement du néant. Elles sont le résultat d'un long processus qui a conduit de l'antijudaïsme médiéval à l'antisémitisme moderne.

Les chrétiens du Moyen Âge reprochaient aux juifs leur appartenance au «peuple déicide» mais les intégraient volontiers en leur sein lorsqu'ils choisissaient de se convertir. À la veille de la Grande Guerre (1914-1918), c'est encore en Allemagne que les israélites d'Europe se sentent le mieux intégrés !

Tout change avec la Grande Guerre et l'effondrement des valeurs religieuses traditionnelles. «L’effondrement de la foi chrétienne est nécessaire à la diffusion de l’idéologie antisémite moderne», observe l'historien Emmanuel Todd (L'invention de l'Europe, 1999)

L'antisémitisme hitlérien naît de la rencontre de deux mouvements d'idées, aussi pernicieux l'un que l'autre :
– d'une part l'antisémitisme d'essence nationaliste et socialiste qui fait du Juif le symbole du capitaliste cosmopolite et apatride,
– d'autre part le
darwinisme social, une perversion de la théorie de la sélection naturelle de Charles Darwin.

L'antisémitisme se répand à la fin du XIXe siècle en Europe. Les milieux nationalistes, socialistes et laïcs qui dénoncent le pouvoir de l'argent, exaltent les vertus des classes laborieuses et pratiquent le culte de la Nation, opposant cette dernière au cosmopolitisme judaïque et bourgeois, à l'universalisme chrétien ainsi qu'à la royauté, qui transcende les identités nationales. La banque Rothschild, présente à Londres, Paris, Vienne et Francfort, devient pour les nationalistes comme pour les socialistes le symbole vivant du juif cosmopolite qui suce le sang des peuples.

Dans le même temps, sous l'influence du darwinisme social, il paraît légitime aux Européens «de progrès» que les êtres les plus faibles disparaissent et laissent la place aux êtres les mieux armés pour survivre, au nom de la sélection naturelle. Cette démarche scientiste s'avère en totale rupture avec l'éthique chrétienne qui avait jusque-là dominé en Europe.

En 1922, le gouvernement social-démocrate de Suède permet à l'administration de stériliser d'office les personnes simples d'esprit ou handicapées sans que cela choque le moins du monde l'opinion éclairée d'Europe. Une décennie plus tard, Hitler, en Allemagne, édicte à son tour des lois similaires contre les handicapés. Il suffit ensuite au Führer d'étendre les lois d'exclusion aux Juifs, considérés d'une certaine manière comme des handicapés de la nationalité. Au début de la Seconde Guerre mondiale, les nazis ne se contentent plus de stériliser les handicapés mais entreprennent de les exterminer.

Aussitôt après vient le tour des Juifs. Le processus est planifié à l'échelle industrielle le 20 janvier 1942 à Wannsee, au plus fort de la Seconde Guerre mondiale.

article du site d'histoire "hérodote"
http://www.herodote.net/dossiers/evenement.php?jour=19350915&ID_dossier=37

 

 

 

Voir aussi 

Le protocole de la Conférence de Wannsee
Hitler menteur (Heidegger et Mein Kampf)

Histoire de l'eugénisme (doc vidéo)
Et de nombreux autres documents historiques sur le nazisme

Publié dans Le "cas Heidegger".

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
J
L'article ne suggère pas que seules quelques personnes se seraient enfuies, il parle bel et bien de milliers d'expatriés :"Quelques milliers d'israélites allemands quittent leur pays par précaution en 1933, après la prise de pouvoir de Hitler ; mais beaucoup y reviennent l'année suivante, considérant que le danger est derrière eux. Personne n'est alors en mesure de soupçonner la suite."L'auteur dit que seules des exceptions ont perçu le danger réel de la véritable idéologie nazie, c'est-à-dire un antisémitisme non accessoire et de circonstance, mais racial et biologique. Les gens ont cru que ce n'était qu'un orage qui allait passer, sauf par exemple Edith Stein :"Edith Stein, philosophe d'origine juive, convertie au catholicisme et entrée au Carmel, fait exception. Dès avril 1933, elle écrit une lettre prophétique au pape Pie XI où elle dénonce l'ignominie du nazisme et les dangers que fait courir à l'humanité «l'idôlatrie de la race» (le contenu de cette lettre a été dévoilé en 2003 par le Vatican)."Je trouve cet article exceptionnel par sa rare volonté de retrouver l'ambiance de l'époque, époque de "progrès" où l'eugénisme et le racisme scientifiques ne font peur à presque personne, comme c'est très bien expliqué à la fin :"sous l'influence du darwinisme social, il paraît légitime aux Européens «de progrès» que les êtres les plus faibles disparaissent et laissent la place aux êtres les mieux armés pour survivre, au nom de la sélection naturelle. Cette démarche scientiste s'avère en totale rupture avec l'éthique chrétienne qui avait jusque-là dominé en Europe.En 1922, le gouvernement social-démocrate de Suède permet à l'administration de stériliser d'office les personnes simples d'esprit ou handicapées sans que cela choque le moins du monde l'opinion éclairée d'Europe. Une décennie plus tard, Hitler, en Allemagne, édicte à son tour des lois similaires contre les handicapés. Il suffit ensuite au Führer d'étendre les lois d'exclusion aux Juifs, considérés d'une certaine manière comme des handicapés de la nationalité."
Répondre
O
Il n'est pas si exceptionnel que cela qu'on ait quitté l'Allemagne dès l'avènement d'Hitler et, contrairement à ce que suggère l'article, qui, sur ce point, me surprend vraiment, cela n'est pas seulement le cas d'intellectuelles d'un haut niveau, comme sont Hannah Arendt ou Edith Stein. On pourrait citer la famille d'Anne Frank, dont les parents ne sont, en rien, des intellectuels, ou, parmi ces derniers, Einstein, Panofsky, Cassirer, Walter Benjamin, Hermann Broch et tous ceux qui, Juifs ou non, comme Thomas Mann, quittèrent aussitôt, le pays. On a vraiment l'impression que ceux qui avaient les moyens ou des relations à l'étranger sont tous partis. Que Trotsky ait été parmi les plus lucides ne nous étonne pas, mais les noms que nous citons montrent qu'il n'a pas été le seul.
Répondre
J
L'interview en question : "Hannah Arendt, penser passionnément" (docu) vidéo n°6 - "PARIS 1933-1940. Rahel Varnhagen" : "Avec l'incendie du Reichstag et ce qui a suivi dans la même nuit, les arrestations illégales dites "détentions préventives", les gens finissaient dans les caves de la Gestapo ou les camps de concentration. Ce qui commença alors était monstrueux mais est souvent occulté aujourd'hui par des choses ultérieures. Ce fut pour moi un choc immédiat, le moment à partir duquel je me suis sentie responsable, où j'ai cessé de croire possible d'être simple spectateur." Arendt est une héroïne de la résistance allemande à Hitler qui s'est finalement enfuie et a abandonné son pays, dégoutée par l'apathie de ses compatriotes auxquels l'antisémitisme de Hitler paraissait anodin, comme le clamait sans cesse la propagande : "Dans un discours qui fait suite à la promulgation des lois antisémites, Hitler les justifie en assurant qu'elles devraient stabiliser les relations entre «Juifs» et «Aryens»..."Trotski est l'un des rares à ne pas croire Hitler : Hitler menteur (Heidegger et Mein Kampf)
Répondre
J
Je ne vois pas d'intention de réhabiliter le fascisme dans cet article, mais juste celle louable d'essayer de comprende l'aveuglement de nos aïeux. L'auteur ne dit pas que Mussolini n'aurait commis qu'un seul meurtre, l remarque qu'à l'époque, étrangement : "Un seul meurtre lui est reproché, celui du député d'opposition Matteoti."Quant à la lucidité précoce d'Arendt à l'égard de l'antisémitisme et du totalitarisme de Hitler, n'est-ce pas l'une des rares exceptions à l'aveuglement général? 
Répondre
J
de plus, l'auteur de l'article parle des "apparents succès" de Mussolini et ne vante donc pas du tout ceux-ci, au contraire : il dit bien ainsi que ce sont de faux succès.
O
Article orienté et dont les approximations surprennent dans un périodique qui nous avait habitués à plus de rigueur. Outre la présentation de la lutte des classes comme une vulgaire guerre civile, qui participe d'une dénonciation, devenue rituelle, des classes laborieuses comme constituées de fauteurs de troubles, et un éclairage systématiquement favorable aux régimes fascistes (Mussolini qui n'aurait tué « qu'un seul » de ses adversaires, les « succès » des régimes fascistes systématiquement présentés sous un jour favorable, par opposition aux « échecs » des régimes socialistes, alors qu'on sait que les deux ont obtenu divers succès, on ne rappellera pas à quels prix), on relève, au moins, deux inexactitudes flagrantes : avril 1933, ce n'est pas « un mois » après l'accession de Hitler à la Chancellerie (30 janvier 1933), et, si de nombreux Juifs quittent le pays au cours de l'année, ce n'est pas « par précaution », mais à la suite des rafles consécutives à l'incendie du Reichstag, le 27 février 1933, rafles qu'évoque Hannah Arendt dans une interview auquel il est renvoyé sur ce site même, un peu comme les oyseaulx commencent, aujourd'hui, à fuir la France à la suite des dernières rafles de la police française. Certains seront ravis. Ils seront servis. Plus d'oyseaulx.
Répondre