Heidegger contre le nazisme

Publié le par jp

 

Heidegger contre le nazisme

 

 

"les pénibles ramassis de choses aussi insensées
que les philosophies national-socialistes..."

 Heidegger, GA5 p.92

Chemins qui ne mènent nulle part (1938)
Gallimard Tel p.130



Cette citation de 1938 semble sans équivoque : Heidegger rejette violemment tout ce qui ressemble au nazisme, et ce dès avant la guerre.

 

Pourtant il adhéra bien en 1933 au Parti Socialiste et Nationaliste des Travailleurs Allemands (NSDAP - plus connu aujourd'hui sous le sobriquet de "parti nazi"), mais pour démissionner à peine un an plus tard en 1934 de son poste de recteur de l'université de Fribourg.

 

Or dès cette période on peut effectivement voir Heidegger critiquer publiquement le régime hitlérien lors de ses cours, pour autant que cela est possible quand on est sous surveillance policière :


"L'esprit faussé en intellect est réduit au rôle d'instrument. Peu importe que ce soit (...) en dominant des moyens matériels de production (comme dans le marxisme) (...) ou en dirigeant l'organisation d'un peuple conçu comme masse vivante et comme race ; dans tous les cas l'esprit, en tant qu'intellect, devient la superstructure impuissante de quelque chose d'autre."

Introduction à la métaphysique (1935)
GA40 p.36 Gallimard Tel p.58

 

Voilà un propos bien peu nazi, si on considère que le racisme biologique est la base idéologique de l'hitlérisme. Heidegger en donne ici une définition particuliérement pointue en parlant de "l'organisation d'un peuple conçu comme masse vivante et comme race" (ce qui distingue le nazisme du bolchévisme où le peuple est un moyen matériel de production). Heidegger dit en somme dans ce texte que la politique du Reich est une insulte à l'intelligence. Ces quelques mots auraient largement suffis pour faire arrêter le professeur Heidegger - c'est bien pourquoi ils sont dissimulés au milieu d'un développement sur l'íntelligence qui n'a rien à voir avec la politique.

Tiré encore de ce cours de 1935, voici maintenant le texte complet de la citation qui a été tronquée par l'historien E.Husson dans l'émission télévisée Bibliothèque Medicis à propos de la Staatspolizei  :


"Un Etat - il est. En quoi consiste son être? En ceci que la police d'Etat (Staatspolizei) arrête un suspect, ou en ce que à la chancellerie il y a tant et tant de machines à écrire en action, qui prennent ce que leur dictent des secrétaires d'Etat? Ou bien est-il dans l'entretien du Führer avec le ministre anglais des affaires étrangères? L'Etat est. Mais où se cache l'être?"

GA40 p.27, Gallimard p.46

 

Voir débat télévisé Faye/Fédier/David (fev.2007) : non seulement E.Husson coupe la citation mais il transforme une question en affirmation, et parvient ainsi à faire dire à Heidegger que "L'Etat est en ceci que la police d'Etat arrête un suspect". En fait, si on lit en entier, Heidegger cherche dans ce texte l'être de l'Etat, et ne le trouvant pas, il en profite pour expliquer ce que l'Etat justement n'est pas. C'est donc incroyablement critique : l'être de l'Etat n'est ni dans la police, ni dans le gouvernement, ni même dans le "Führer"! Il est clair que l'allusion n'est pas innocente. Voilà en quels termes Heidegger décrit l'Etat allemand en 1935 : "L'Etat est. Mais où se cache l'être?" Nous avons un Etat qui n'a d'Etat que le nom, dit-il en somme.

Autre exemple, E.Faye cite lui-même un texte de 1940 qu'il croit pouvoir présenter à charge :


"Dans le cours de mai-juin 1940 intitulé Nietzsche, le nihilisme européen, prononcé au moment de la victoire des armées du IIIe Reich sur la France, ce qui importe à Heidegger, comme aux armées nazies, c’est de déterminer qui gagnera la Seconde guerre mondiale, ou, dans son langage abscons, qui demeurera «capable de puissance» : « les empires démocratiques (Angleterre, Amérique) », ou "la dictature impériale de l’armement absolu pour l’armement », c’est-à-dire le IIIe Reich."

E,Faye, réponse à une critique de N.Weill
parue dans Le Monde du 26 janvier 2007)

Une expression comme "dictature impériale de l’armement absolu pour l’armement" est pourtant une description du Reich qui n'aurait certainement pas plue au "dictateur" en question. C'est le genre de langage "abscons" (fascinant aveu d'incompréhension de la part d'E.Faye) qui pouvait faire qualifier d'ennemi du parti. On peut remarquer encore que faire un cours sur l'enfoncement de l'Europe dans le nihilisme au moment même de l'apogée du glorieux IIIe Reich, avant la bataille de Stalingrad, c'est montrer bien peu d'enthousiasme patriotique. On peut lire dans le Discours de Rectorat de 1933 un passage qui résume bien l'ambiguité de la position de Heidegger dès avant sa démission :

"Diriger implique en tout état de cause que ne soit jamais refusé à ceux qui suivent le libre usage de leur force. Or suivre comporte en soi la résistance. Cet antagonisme essentiel entre diriger et suivre, il n'est permis ni de l'atténuer ni surtout de l'éteindre."  (Ecrits politiques, Gallimard p.109)

Il est contradictoire avec le fanatisme nazi de rappeler que celui qui « guide », c'est-à-dire le Führer auquel Heidegger fait allusion ici, a le devoir de laisser au peuple sa liberté et sa capacité de résistance. (cité dans Discours du Rectorat : "Heidegger platonicien" par J.Taminiaux). Etait-ce de la pure hypocrisie? Ce le serait si Heidegger s'était contenté de paroles sans passer aux actes. Or comme le rappelle F.Fédier :

 

"L’une des premières mesures prise par le recteur Heidegger est un fait incontestable et très significatif par lui-même : interdire dans les locaux universitaires de Fribourg-en-Brisgau l’affichage du “Placard contre les Juifs” rédigé par les associations d’étudiants nationaux-socialistes (et qui sera affiché dans presque toutes les autres universités d’Allemagne). Ce fait indéniable (que les détracteurs de Heidegger, au mépris de la plus élémentaire honnêteté, passent sous silence, ou bien dont ils cherchent à minimiser la signification pourtant patente) permet, à mon sens, de se faire une idée plus claire des conditions dans lesquelles Heidegger a cru pouvoir assumer la charge du rectorat."

Interpréter dans ce sens les paroles et les actes de Heidegger, est-ce les forcer? C'est pourtant celle qui semble avoir été générale à l'époque, autrement on ne comprendrait pas pourquoi autant d'étudiants aient dit avoir assisté à ses cours pour entendre l'une des rares paroles libres d'Allemagne :

 

"Jan Patocka, avec d’autres étudiants d’alors, vient confirmer ce qui leur apparut clairement à l’époque comme une forme de « résistance spirituelle », à propos de ce que fut alors l’attitude de Heidegger, et c’est bel et bien lui qui déclare voir dans la figure de Heidegger celle d’«un héros de notre temps» — et qui s’en inspira lui-même comme d’« un exemple » pour continuer à enseigner et à penser sous l’emprise d’une autre de ces massives « dictatures totalitaires » dont le « XXe siècle » (en attendant mieux ?) semble s’être fait une spécialité." (cité dans Heidegger résistant par G.Guest (Héraclite))

 
TEMOIGNAGES D'ETUDIANTS


Par exemple Hermine Rohner écrit, je la cite, à propos de Heidegger :

« lui ne craignait pas, fût-ce dans ses cours aux étudiants de toutes les facultés, de critiquer le national-socialisme de manière si ouverte et avec le tranchant si caractéristique qu’offre sa manière de choisir en toute précision ses termes qu’il m’arrivait d’en être effrayée au point de rentrer la tête dans les épaules ».

Je cite le témoignage aussi de Siegfried Bröse, qui a été lui-même destitué par les nationaux-socialistes en 1933, parce qu’il s’était manifesté contre Hitler, voilà ce dit Siegfried Bröse qui a suivi tous les séminaires de 1934 à 1944 :

« les cours de Heidegger étaient fréquentés non seulement par les étudiants mais aussi par des gens exerçant depuis longtemps déjà une profession ou même par des retraités. Chaque fois que j’ai eu l’occasion de parler avec ces gens, ce qui revenait sans cesse, c’était l’admiration pour le courage avec lequel Heidegger, du haut de sa position philosophique et dans la rigueur de sa démarche, attaquait le national-socialisme. Je sais également que les cours d’Heidegger, précisément pour cette raison – sa rupture ouverte n’était pas demeurée ignorée des nazis – étaient surveillés politiquement ».

Une dernière ligne de Walter Biemel, qui dit à deux reprises :

« pour la première fois il me fut donné d’entendre de la bouche d’un professeur d’université une violente critique contre le régime qu’il qualifiait de criminel »

et Biemel appuie le fait qu’il a entendu Heidegger caractériser Hitler de criminel, de Hauptverbrecher, de criminel en chef, dès 1935 (voir dans le tome 69, Koinon, dans lequel il est question précisément de Machenschaft, de la puissance et de crime… dans lequel Heidegger range la pensée de la race comme étant un visage de ce crime et de cette Machenschaft). Biemel termine:

« il n’y a pas un cours, un séminaire où j’aie entendu une critique aussi claire du nazisme qu’auprès de Heidegger. Il était d’ailleurs le seul professeur qui ne commençât pas son cours par le Heil Hitler réglementaire. À plus forte raison dans les conversations privées, il faisait une si dure critique des nazis que je me rendais compte à quel point il était lucide sur son erreur de 1933. »


(cités par H.France-Lanord, débat retranscrit Faye/Sichère/France-Lanord/Guest (2005))


Georg Picht, élève à partir de 1940, raconte l’histoire suivante :


« Je ne fus pas surpris lorsqu’un jeune homme vint me trouver et me dit : “Ne m’interrogez pas sur mes sources d’information. Vous mettez votre personne en grand danger si on vous voit aussi souvent avec M. le Professeur Heidegger.” »

(Erinnerung an Martin Heidegger, Pfullingen, Neske, 1977)

Il y a ainsi unanimité des étudiants sur la position anti-nazi de Heidegger. E.Faye croit pouvoir citer un contre-témoignage selon lequel il serait en fait parfois arrivé à Heidegger de faire le salut hitlérien. Mais c'était le règlement effectivement appliqué par tous les autres professeurs sans exception, et il n'y a donc là rien d'extraordinaire à relever, et les autres témoignages affirment au contraire que Heidegger refusait de faire ce salut comme ses collègues (quant à Karl Löwith, également cité par E.Faye, il ne peut pas être témoin de la période en question puisqu'il quitta l’Allemagne entre 1934 et 1952).  Reste le cas étrange de G.Anders qui aurait été le seul étudiant lucide à décrypter un hitlérisme forcené chez son professeur. Mais on peut sérieusement mettre en doute la bonne compréhension des cours de Heidegger par Anders quand on se souvient de son livre Sur la pseudo-concrétude de la philosophie de Heidegger, concept qui ne fut jamais revendiqué par ce dernier, et surtout de sa critique selon laquelle "le Dasein heideggerien n'a pas de corps". (Le Dasein n'a pas plus d'âme ou même d'esprit que de corps : la notion de Dasein sert justement à dépasser la distinction corps/esprit... Que faisait Anders pendant les cours?)

 

G.Guest rappelle ainsi que "Heidegger critique et stigmatise, bel et bien, sur le fond, en maintes occasions, de façon ouvertement et très expressément caustique, le « racisme », l’«eugénisme» et le « biologisme » en question — et que l’usage fait du mot « völkisch » par l’idéologie "nazie" est même, lui aussi, expressément stigmatisé (voire ridiculisé), dès 1933, par Heidegger ! (Voir, par exemple, le discours de Heidegger expressément dirigé, le 30 janvier 1934, contre le « biologisme » et la « biologische Weltanschauung » de Erwin G. Kolbenheyer, dans le Cours du semestre d’hiver 1933/1934 : « Vom Wesen der Wahrheit », in : Heidegger, Sein und Wahrheit, Gesamtausgabe, Bd. 36/37, Vittorio Klostermann, Frankfurt am Main 2001, pp. 209-213, notamment pp. 211/212.)"

 
Il y a beaucoup de façons d'être un résistant. On peut prendre les armes mais aussi distribuer des tracts ou prendre la parole. Contrairement à ses collègues, Heidegger a fait ce qui lui incombait en tant que professeur de philosophie : il ne s'est pas tu. Nous ne nous rendons pas compte de l'importance de tels actes car il faut pour cela se mettre dans l'atmosphère totalitaire, dont on a souvent du mal à se représenter la folie et l'horreur. Il faut lire 1984 d'Orwell (avec Bigbrother, le "Grand frère" qui vous veut du bien). C'est une semblable immersion que permet le documentaire  "La langue ne ment pas" - le nazisme par V.Klemperer

 

Klemperer explique dans son livre "LTI" que l'oppression mentale totalitaire est faite de "piqures de moustiques et non de grands coups sur la tête". De même la résistance de Heidegger n'était pas faite d'(impossibles) coups d'éclats, mais répondait au jour le jour, in medias res à la propagande nazie en en reprenant parfois le vocabulaire (ce qui a pu causer des quiproquos après la guerre, dont le plus grand est le livre d'E.Faye, mais certainement pas à l'époque, comme en témoignent avec force les étudiants). Les cours de Heidegger peuvent ainsi être lus comme des actes de résistance à la récupération des notions philosophiques par la propagande nazie, ce mélange "de Novalis et de Barnum" comme dit Klemperer.

Klemperer raconte par exemple que les nazis parlaient à tout propos de Erlebnis (expérience vécue) et de Weltanschauung (conception du monde). Or ces notions sont violemment remises en question par Heidegger lors de ses cours de l'époque, notemment dans "L'époque des conceptions du monde" dans les Chemins (1938) où on peut lire en conclusion la phrase : "les pénibles ramassis de choses aussi insensées que les philosophies national-socialistes". D'autre part les nazis affectionnaient les termes organiques, et l'idée d'organisation en politique était alors dénoncée par Heidegger. Sous un régime totalitaire la résistance de la parole et de la pensée n'est ainsi pas anodine.

 

Hannah Arendt déclarait ainsi dans sa contribution à une festchrift commémorant le 80ème anniversaire de Heidegger :

"Heidegger corrigea lui-même son 'erreur' plus rapidement et plus radicalement que beaucoup de ceux qui se dressèrent en juges au-dessus de lui. Il prit plus de risques qu'il n'était usuel de le faire dans la vie littéraire et universitaire allemande pendant cette période."

 

Rappelons que le grand poète espagnol Antonio Machado, peu avant la chute de Barcelone,  avait trouvé le temps d'écrire dans la Vanguardia du 27 mai 1938 que l'homme selon Heidegger "es el antipodo del germano de Hitler". Et en 1936 déjà il écrivait : "Martin Heidegger est, comme le regretté Max Scheller, un Allemand de première classe, de ceux qui soit dit en passant n’ont rien à voir, quelles que soient ses opinions politiques, qu’il me plaît d’ignorer, avec l’Allemagne d’aujourd’hui, la détestable et détestée Allemagne du Führer, de ce petit pédant déifié par la tourbe des philistins." (voir Antonio Machado à propos de Heidegger en 1936)

   
Or Heidegger est inscrit au NSDAP depuis 1933. Rappel des faits :

 

En avril 1933, Heidegger sort de sa retraite de philosophe pour être élu recteur de l'université de Fribourg et soutient publiquement le parti socialiste révolutionnaire NSDAP et son chef nouvellement chancellier, Adolf Hitler, alors extrêmement populaire en Allemagne et représentant du parti majoritaire. Rappelons que NSDAP signifie "parti socialiste national des travailleurs allemands", appellation où n'apparaît rien des projets criminels et racistes de Mein Kampf, bien au contraire : les nazis se présentaient comme des socialistes, et Hitler répétait sans cesse dans ses discours qu'il n'aspirait qu'à la paix dans le monde et à la fraternité entre les peuples. (Voir Hitler menteur (Heidegger et Mein Kampf) ainsi que l'article du site d'histoire "Hérodote" : Hitler vu par ses contemporains)

Onze mois plus tard, Heidegger démissionne de son poste de recteur et prend ses distances avec ceux qui assument de plus en plus tout ce qu'implique le surnom de "nazis". Pourtant, même s'il n'a plus aucune activité politique, Heidegger ne résilie pas son inscription au parti, et, après la guerre, refusera toujours de renier publiquement son engagement de 1933, même s'il le fera en privé. Deux explications rationnelles à cette attitude : 

1) on ne rend pas sa carte d'un parti totalitaire au pouvoir et en guerre sans le payer non seulement de sa propre vie mais de celle de sa femme, de ses enfants, voire de ses amis.
2) Heidegger a expliqué lui-même qu'il avait cru pouvoir influer sur le sens de la "révolution nationale" hypocritement revendiquée par Hitler et qu'il s'était comme beaucoup d'autres illusionné, mais n'avait jamais adhéré à l'idéologie nazie.

 

F.Fédier attire l’attention sur "l’importance d’un texte inédit jusqu’ici en français, la conférence "La menace qui pèse sur la science", où dans un cercle restreint, mais suffisamment ouvert pour être un cercle public, Heidegger a reconnu que sa tentative de rectorat, en 1933-1934, avait été une erreur : “Sans contredit - une erreur, de quelque manière que l’on veuille prendre la chose”, dit-il en novembre 1937. Il n’a donc pas attendu qu’un terme ait été mis au règne d’Hitler, et que soient révélées l’ampleur inouïe de ses crimes, pour déclarer qu’il s’était fourvoyé en s’engageant comme recteur de son université - c’est-à-dire en essayant de prendre part en tant que responsable universitaire à une “révolution allemande”. La question est ici clairement : est-il licite de distinguer entre une “révolution allemande” et une “révolution nazie” ? Or en novembre 1937, Heidegger déclare publiquement que tenir, dès 1933, cette distinction pour possible, c’était se fourvoyer. Se fourvoyer, c’est perdre la direction dans laquelle on s’était engagé." (voir Les Ecrits politiques de Heidegger par F.Fédier)

 
Par ailleurs, la publication du cours sur Nietzsche professé pendant la guerre apparaissait pour Heidegger comme une preuve suffisante de son opposition au régime. En effet tout le cours est destiné à empêcher la récupération de Nietzsche par les interprétations biologistes et darwinistes de l'homme, ce qui revenait pour les auditeurs de l'époque à une critique directe du racisme de Hitler (voir Heidegger contre le racisme). N'oublions pas que ces propos sont tenus publiquement au sein d'un régime totalitaire en état de guerre, où la moindre ambiguité suffit à faire arrêter quelqu'un. Heidegger n'a donc pas manqué d'un certain courage, certes limité à un amphithéâtre d'université, mais qu'il serait indécent de vouloir tenir pour rien.

De fait, Heidegger se fit des ennemis au sein du parti nazi. Ernst Krieck, proche de Rosenberg et membre de la Allgemeine SS, a organisé dès 1934 dans son journal nazi Volk im Werden une véritable cabale contre la pensée de Heidegger considérée comme "un ferment de décomposition et de désagrégation pour le peuple allemand". Il l'y traitait également de "rabbin" en raison des nombreux étudiants juifs qui de notoriété publique venaient assister à ses cours.


En 1944, Heidegger est réquisitionné pour des travaux de fortification sur le Rhin. Il est alors considéré par le régime comme faisant partie de la "dernière" catégorie des professeurs, ceux dont on n'a rien à faire. Puis il est enrôlé dans la milice populaire. En 1945, les autorités françaises d'occupation jugeront bon de reconduire purement et simplement la sanction prise à son égard par les autorités nazies : il restera donc éloigné de l'Université jusqu'en 1951. Il rompt son silence d'écrivain en publiant la Lettre sur l'humanisme (1947).

 

Bien plus tard, son fils Hermann Heidegger racontera au Badische Zeitung (30 mai 1996) :

 

 "A cette époque <agé de 14 ans>, j'étais scout, et je devins rapidement un chef enthousiaste de l'organisation de jeunesse <nazie>. C'était en 1934. Et à partir de ce moment-là, pendant plusieurs années, j'ai eu avec mes parents des discussions. Ils me disaient : "Petit, tout ce que tu vois n'est pas aussi positif que tu penses." C'est à eux que je dois d'avoir refusé en 1937 d'entrer au parti."

 


CE QUE HEIDEGGER A DIT DE SON ENGAGEMENT DE 1933
"Nous étions [avec Heidegger] dans le jardin et parlions de la Grèce. Je lui dis soudain, avec une vivacité à laquelle l'esprit malin du vin de Bade n'était pas étranger, que son engagement désastreux en 1933 avait mis dans un bel embarras ses amis français. Pourquoi à cette époque avait-il fait cela? Je me souviens que Mme Heidegger me regarda, pétrifiée. Surpris, après un moment de silence, Heidegger se pencha vers moi avec l'air grave de quelqu'un qui s'apprête à livrer un grand secret : "Dummheit." Il répéta le mot comme s'il voulait donner plus de poids encore à une évidence. "Dummheit." Par stupidité." 

 

Towarnicki, A la rencontre de Heidegger, Gallimard Arcades p.125 

"L'admiration immense éprouvée pour l'oeuvre de Heidegger n'occultait nullement l'inclination à la raillerie. Heidegger s'était inventé une révolution nationale qu'il avait été le seul à vivre à Fribourg (...) - rêve d'engagement aussi grotesque que solennel."


ibid. p.107 (voir aussi p.97sqq )

 
Arendt revient elle aussi sur son amertume dans « Entretien avec Hannah Arendt » de Günter Gaus :

"En 33, j'ai pu constater que chez les intellectuels l'alignement était de règle - et pas chez les autres... D'aucuns y ont cru vraiment ! Pas longtemps, certains pas longtemps du tout. Parce qu'ils avaient une théorie sur Hitler, des idées éminement intéressantes, figurez-vous, des théories fantastiques, passionnantes, sophistiquées ! Des choses qui planaient bien au dessus du niveau de réflexion habituel ! Pour moi c'était grotesque. Ces intellectuels ont été piégés par leurs propres théories. Voilà ce qui s'est passé en fait."

CE QUE HEIDEGGER A DIT DES CAMPS D'EXTERMINATION :

Heidegger écrit en 1949 dans les Conférences de Brême que par le meurtre de masse les nazis ont non seulement tué des hommes mais leur ont encore volé leur "mort", c'est-à-dire leur Dasein, leur humanité la plus intime ("mourir" dans Etre et temps appartient à l'être humain et se distingue de "périr") :


"Des centaines de milliers meurent en masse. Meurent-ils ? Ils périssent. Ils sont tués. Ils deviennent les pièces de réserve d’un stock de cadavres en cours de fabrication. Meurent-ils ? Ils sont liquidés sans bruit dans les camps d'extermination. (...) Au milieu des morts innombrables l’essence de la mort demeure méconnaissable."

 Terminons par
L'AUTOJUSTIFICATION DE HEIDEGGER :

 

lettre au Comité politique d’épuration  (extrait du blog de S.Zagdanski) 

« J’étais opposé dès 1933-1934 à l’idéologie nazie, mais je croyais alors que, du point de vue spirituel, le mouvement pouvait être conduit sur une autre voie, et je tenais cette tentative pour conciliable avec l’ensemble des tendances sociales et politiques du mouvement. Je croyais qu’Hitler, après avoir pris en 1933 la responsabilité de l’ensemble du peuple, oserait se dégager du Parti et de sa doctrine et que le tout se rencontrerait sur le terrain d’une rénovation et d’un rassemblement en vue d’une responsabilité de l’Occident. Cette conviction fut une erreur que je reconnus à partir des événements du 30 juin 1934. J’étais bien intervenu en 1933 pour dire oui au national et au social (et non pas au nationalisme) et non aux fondements intellectuels et métaphysiques sur lesquelles reposait le biologisme de la doctrine du Parti, parce que le social et le national, tels que je les voyais, n’étaient pas essentiellement liés à une idéologie biologiste et raciste… 

Je n’ai jamais participé à une quelconque mesure antisémite; j’ai au contraire interdit en 1933, à l’université de Fribourg, les affiche antisémites des étudiants nazis ainsi que des manifestations visant un professeur juif. En ce qui me concerne je suis intervenu le plus souvent possible pour permettre à des étudiants juifs d’émigrer; mes recommandations leur ont énormément facilité l’accès à l’étranger. Prétendre qu’en ma qualité de recteur j’ai interdit à Husserl l’accès à l’université et à la bibliothèque, c’est là une calomnie particulièrement basse. Ma reconnaissance et ma vénération à l’égard de mon maître  Husserl n’ont jamais cessé. Mes travaux philosophiques se sont, sur bien des points, éloignés de sa position, de sorte que Husserl lui-même, dans son grand discours au Palais des Sports de Berlin en 1933, m’a publiquement attaqué. Déjà, longtemps avant 1933, nos relations amicales s’étaient relâchées. Lorsque parut en 1933 la première loi antisémite (qui nous effraya au plus haut point, moi et beaucoup d’autres sympathisants du mouvement nazi), mon épouse envoya à Mme Husserl un bouquet de fleurs et une lettre qui exprimait – en mon nom également – notre respect et notre reconnaissance inchangés, et condamnait également ces mesures d’exception à l’égard des Juifs. Lors d’une réédition d’Être et Temps, l’éditeur me fit savoir que cet ouvrage ne pourrait paraître que si l’on supprimait la dédicace à Husserl. J’ai donné mon accord pour cette suppression à la condition que la véritable dédicace dans le texte, page 38, demeurât inchangée. Lorsque Husserl mourut j’étais cloué au lit par une maladie. Certes après la guérison je n’ai pas écrit à Mme Husserl, ce qui fut sans doute une négligence; le mobile profond en était la honte douloureuse devant ce qui entre temps  – dépassant de loin la première loi – avait été fait contre les Juifs et dont nous fûmes les témoins impuissants. »

Quant au public : dans une lettre  du 4 novembre 1945 au Rectorat académique, Heidegger a désigné ses cours sur Nietzsche, de 1936 à 1945, comme des exercices de « résistance spirituelle».

« En vérité on n’a pas le droit d’assimiler Nietzsche au national-socialisme, assimilation qu’interdisent déjà, abstraction faite de ce qui est fondamental, son hostilité à l’antisémitisme et son attitude positive à l’égard de la Russie. Mais, à un plus haut niveau, l’explication avec la métaphysique de Nietzsche est l’explication avec le nihilisme en tant qu’il se manifeste de façon toujours plus claire sous la forme politique du fascisme. »

Il faut ici à nouveau citer quelques passages de cette autre lettre cruciale, afin d’éclaircir un faux débat :

« Durant le premier semestre qui suivit ma démission je fis un cours de logique et traitais, sous le titre de “doctrine du logos”, de l’essence de la langue. Il s’agissait de montrer que la langue n’est pas l’expression d’une essence bio-raciale de l’homme, mais qu’au contraire l’essence de l’homme se fonde dans la langue comme effectivité fondamentale de l’esprit…

Aucun membre du corps professoral de l’université de Fribourg n’a jamais été autant diffamé que moi durant les années 1933-1934 dans les journaux et revues et, entre autres, dans la revue de la jeunesse hitlérienne, Volonté et puissance… 

À partir de 1938 il fut interdit de citer mon nom et de faire référence à mes écrits par des instructions secrètes données aux directeurs de publication. Je cite une directive de ce genre datant de 1940, qui me fut révélée confidentiellement par un de mes amis:

“L’essai de Heidegger, La doctrine platonicienne de la vérité, à paraître sous peu dans la revue berlinoise X. ne doit ni être commenté ni être cité. La collaboration de Heidegger à ce Numéro 2 de la Revue, qui est au demeurant tout à fait discutable, n’a pas à être mentionné.”…

 J’ai également montré publiquement mon attitude à l’égard du Parti en n’assistant pas à ses rassemblements, en ne portant pas ses insignes et en ne commençant pas les cours et conférences, dès 1934, par le soi-disant salut allemand…

Je ne me fais aucun mérite particulier de ma résistance spirituelle durant les onze dernières années. Toutefois si des affirmations grossières continuent à être avancées selon lesquelles de nombreux étudiants auraient été “entraînés” vers le “national-socialisme”, par ma présence au rectorat, la justice exige que l’on reconnaisse au moins qu’entre 1934 et 1944 des milliers d’étudiants ont été formés à une méditation sur les fondements métaphysiques de notre époque et que je leur ai ouvert les yeux sur le monde de l’esprit et sur ses grandes traditions dans l’histoire l’Occident. »



voir aussi :
- Penser Auschwitz avec Heidegger (Heidegger contre le nazisme 2)
- Heidegger nazi par F.Fédier et S.Zagdansky (vidéo)
- L'affaire Heidegger close selon la revue "Esprit" : résumé du livre Heidegger à plus forte raison.
Discours du Rectorat : "Heidegger platonicien" : le discours du Rectorat contraire à l'idéologie nazie par J.Taminiaux
- "La langue ne ment pas" - vivre sous le nazisme par V.Klemperer

Et la page de documents historiques sur le nazisme
Et les autres articles sur Le cas Heidegger  :  

Publié dans Le "cas Heidegger".

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A
« Le national-socialisme est un principe barbare. C’est là sa qualité essentielle et sa possible grandeur. Le danger, ce n’est pas lui, mais qu’on l’édulcore en prêchant le vrai, le bon et le beau. »<br /> <br /> Et là, il rejette aussi "sans équivoque" le nazisme ? Ce n'est pas le nazisme qu'il rejette mais les autres "philosophies nationales-socialistes" que la sienne. Lui seul se considérait comme le véritable "guide spirituel" du nazisme. Et à vous lire on peut considérer qu'il est en passe de réussir son coup...
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D
<br /> Je rajoute cette petite contribution au débat en citant ce texte de guy Karl ou est mentionné la perception de Heidegger par Carl Gustav Jung :<br /> <br /> <br /> JUNG et la PHILOSOPHIE ALLEMANDE<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Jung, horrfié par la "psychose" du nazisme, jette un regard retrospectif sur la philosophie allemande et croit y découvrir les symptômes précurseurs de la catastrophe. Il s'en prend violemment à<br /> Heidegger, qui, à l'époque se fourvoyait dans une coupable complaisance : " Le verbiage comique, la pauvreté et la banalité indicible de sa philosophie. C'est un névrosé, un fou." Puis, pour<br /> faire bonne mesure :" Hegel regorge de présomption et de vanité, Nietzsche ruisselle de sexualité profanée". Bref, la philosophie allemande "n'est au mieux qu'un ramassis de tous les diables<br /> inconscients".<br /> <br /> <br /> Il est vrai qu'il y a lieu de s'interroger sur la responsabilité de certains philosophes qui confondent le subjectif et l'objectif, se laissent emporter par leurs fantaisies privées et perdent<br /> toute mesure. Jung veut attirer notre attention sur le fait suivant : faute d'observer et d'analyser nos propres fondements inconscients, notre part refoulée et diabolique, nous risquons d'être<br /> totalement emportés par la tourmente. Alors les démons refont surface et emportent l'édifice. Plus profondément c'est toute la culture actuelle, axée sur la maîtrise des choses, la domestication<br /> de la nature extérieure, l'exploitation sauvage des ressources et l'arraisonnement universel, qui témoigne d'une sorte de psychose collective. Une forme inédite de barbarie recouvre le monde,<br /> d'autant plus grave qu'elle se déguise sous les traits du bien-être apparent. C'est l'intériorité qui est en souffrance, et de négliger de la sorte les motivations fondamentales on court un très<br /> grand risque. <br /> <br /> <br /> C'est dans le dialogue ininterrompu entre le conscient et l'inconscient que le philosophe trouvera quelques réponses à la détresse de notre temps.<br /> <br /> <br />  Lien :http://guykarl.canalblog.com/archives/2013/01/08/26095862.html<br />
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J
<br /> J'avoue ne pas comprendre la passion de tout ce débat. Il y a des faits irréfutables: l'adhésion de Heidegger au parti nazi, et son "intolérable silence" après la guerre - qui éloignèrent à<br /> jamais Lévinas de celui qu'il continuait néanmoins à admirer pour son premier ouvrage.<br /> <br /> <br /> Pourquoi chercher, si bizarrement, à faire de Heidegger un "résistant au nazisme" (ce qu'il n'a lui-même jamais prétendu être)? Pour éviter qu'il soit banni des bibliothèques? Mais ce risque est<br /> inexistant -  et E. Faye s'il craint que la lecture de Heidegger ne fasser renaître le nazisme de ses cendres délire certainement - 99,9% des  Nazis étaient incapables d'entraver le<br /> moindre propos de Heidegger et ce n'est pas avec de difficiles ouvrages philosophiques que l'on forme des nervis fascistes.<br /> <br /> <br /> On peut aussi constater que peu de penseurs d'extrême-droite contemporains se réclament de Heidegger, et qu'en revanche un certain nombre de militants d'extrême-gauche ou écologistes y trouvent<br /> une inspiration. Habent sua fata libelli:que chacun fasse son miel de ces ouvrages comme de tant d'autres, et que les meilleurs gagnent à la fin - que peut-on souhaiter d'autre?<br /> <br /> <br /> L'étrange dans tout cela, c'est cette espèce de dévotion des heideggeriens contemporains (dont la contrepartie est, malheureusement pour eux, une certaine stérilité de leur production,<br /> condamnée à arpenter sans relâche le même cercle étroit de la demeure de l'Etre et des chemins qui ne mènent nulle part) et en contre-partie la fureur sans doute excessive des Faye père<br /> et fils.<br /> <br /> <br /> Vu avec un peu de recul, c'est tout de même la protestation des Paroliens des Jours qui apparaît comme la plus grotesque: comme si cette discussion sur l'engagement de Heidegger en 1933 avait<br /> quelque rapport que ce soit avec ce qui se joue aujourd'hui, comme si cela faisait peser une menace quelconque sur leur liberté d'heideggerianiser à souhait.<br /> <br /> <br /> Et pour finir: le vrai mystère n'est pas que l'on se dispute dans quelques revues sur l'opportunité d'exclure Heidegger des bibliothèques pour son engagement nazi - mais que la question de<br /> l'engagement bien réel, attesté, persistant et hautement revendiqué d'Alain Badiou, "philosophe français vivant le plus traduit et lu à l'étranger" en faveur du non moins meurtrier maoïsme ne<br /> suscite de son côté aucune discussion. L'adhésion du philosophe à la barbarie, pour peu qu'elle soit "de gauche", apparaît à tous naturelle.<br />
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J
<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Que de rares intellectuels perspicaces aient vu un danger dans le socialisme national, comme Arendt encore, mais tous loin de la vérité, ne permet pas<br /> d'accuser l'immense majorité de consentement à l'horreur, car ce n'est pas basé sur les faits justement.<br /> L'incendie du Reichstag n'a jamais été revendiqué par le NSDAP qui s'est empressé d'accuser les communistes, sans qu'on ait jamais su s'il s'agissait d'un coup monté (vraisemblablement<br /> pas vu la surprise et l'exitation de Hitler et Goering devant l'aubaine). Les lois antisémites et anticommunistes qui suivirent, ainsi que l'ouverture du camp de Dachau pour les<br /> prisonniers politiques (ce n'est pas encore un camp d'extermination), n'ont pas provoqué l'indignation générale parce que les violences se sont en fait vite tassées, au point que de<br /> nombreux Juifs expatriés reviennent en Allemagne. Ce n'est que 5 ans plus tard en 1938 que les pogroms commenceront. N'oublions pas qu'à l'époque en 1933 c'est Staline en URSS qui fait<br /> peur à toute l'Europe, car lui a déjà massacré une dizaine de millions de personnes, alors qu'Hitler et Mussolini passent encore pour des chefs d'Etat respectables. Voir Hitler menteur <br /> <br /> <br /> Il est contre les faits également de minimiser la séduction du prétendu socialisme hitlérien, la troisième voie hypocritement revendiquée par le sigle NSDAP.<br /> Le Petit Journal du 1er février 1933 rappelle qu'avant les élections c'est justement ce qui avait provoqué des inquiétudes : "Avant toute chose, le souci de Hitler paraît être d'apaiser,<br /> à l'intérieur et à l'extérieur, les craintes que son accession au pouvoir pouvaient susciter. Il semble avoir d'emblée abandonné les revendications sociales de son parti. (...) La Bourse<br /> de Berlin a, aujourd'hui, été ferme, parce qu'elle a confiance dans Hitler assagi. Les israélites allemands, de leur côté, ont des raisons d'espérer que le tribun devenu chancelier les<br /> ménagera dans ses actes plus qu'il ne les a ménagés dans ses discours. Il ne les expulsera pas, ne les mettra plus hors la loi, mais se bornera sans doute à un certain antisémitisme<br /> fiscal consistant à surtaxer les grands magasins. Envers le Reichstag, c'est sans doute aussi une politique de calme qu'il voudra pratiquer. Certes, de nouvelles élections survenant<br /> aussitôt après l'avènement d'hier, seraient, selon toutes vraisemblance, favorables à Hitler. Son prestige personnel est, pour le moment, accru. J'ai moi-même entendu un certain nombre de<br /> gens, qui ne sont pas nationaux-socialistes, dire aujourd'hui : «Après tout, pourquoi pas ? Pourquoi ne pas tenter cette expérience?»"<br /> Les faits montrent donc bien qu'il était impossible de prévoir en 1933 ce qui allait se passer ensuite, et que l'idée d'un "consentement à l'horreur" est une illusion rétrospective. Quant<br /> aux autodafés, c'est un fait également que Heidegger n'y a jamais participé, bien au contraire puisqu'il s'est vite trouvé en conflit avec les étudiants SA, donc pas "à la remorque". Il<br /> croyait comme beaucoup que Hitler était différent. Hitler en effet a toujours eu soin de prendre ses distances avec les violences des SA, alimentant le mythe du Führer au dessus des<br /> partis (quitte à les liquider ensuite pour se poser en justicier). Mais la prise de conscience de Heidegger a été l'une des plus rapides en Europe puisqu'elle n'a pris que quelques mois.<br /> Il n'a pas attendu 1938 comme les autres.<br /> <br /> <br /> Jacques Taminiaux, peu tendre d'habitude avec Heidegger, a pourtant réfuté l'idée que le discours du Rectorat de 1933 serait un acte d'allégeance au nazisme,<br /> au contraire explique-t-il : http://paris4philo.over-blog.org/article-11530929.html<br /> <br /> <br /> <br /> <br />
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J
<br /> "Adolf Hitler, alors extrêmement populaire en Allemagne et représentant du parti majoritaire. Rappelons que NSDAP signifie "parti socialiste national des<br /> travailleurs allemands", appellation où n'apparaît rien des projets criminels et racistes de Mein Kampf, bien au contraire "<br /> <br /> <br /> Ce passage du texte m'a fait bondir, puis sourire, puis éclater de rire. J'ai cessé ensuite de prendre au sérieux la moindre phrase de son auteur, à qui l'on peut recommander de lire ce<br /> qu'écrivaient sur Hitler, avant son accession au pouvoir, d'autres penseurs de cette époque (Walter Benjamin, Karl Kraus, Musil...) - puisqu'il s'agit de "situer dans son contexte" le<br /> parti pris de Heidegger -  et surtout de relire ses livres d'histoire pour constater que l'incendie du Reichstag eut lieu le 27 février 1933, l'ouverture du camp de Dachau le 21 mars,<br /> le début des persécutions des juifs le 1er avril (boycott, puis élimination de la fonction publique le 7), l'autodafé de Berlin le 10 mai... et le discours du Rectorat de Heidegger, qui vient<br /> donc après toutes ces ignominies, le 27 mai. Point n'est donc besoin de développer de longues arguties pour constater l'indécence ridicule de la défense et illustration de ce Discours,<br /> qu'elle vienne de F Fédier, du zig Zagdanski ou de "jp": s'en tenir aux faits suffit.<br /> <br /> <br /> Certes, on ne peut tenir Heidegger pour responsable de l'extermination des juifs. Mais tenir pour sans importance le fait que l'auteur de Sein und Zeit ait pu rallier un tel régime (même pour un<br /> an, c'est-à-dire 365 jours de consentement à l'horreur!) et par une étrange acrobatie dialectique, transformer une adhésion en "résistance ouverte", c'est là un tour de force sophistique qui fait<br /> douter de l'attachement de son auteur au Vrai, dont la quête est pourtant au coeur de l'entreprise philosophique.<br /> <br /> <br /> Quant, au surplus, on fait du caractère "majoritaire" du NSDAP d'une part, et de son sigle à l'évidence mensonger d'autre part (rappelons que le NSDAP était financé et épaulé par de grands<br /> industriels et des partis conservateurs qui craignaient le communisme, et qu'il ne venait à personne l'idée de le considérer comme un parti "de gauche") des arguments 'explicatifs' de la position<br /> de celui dont on loue par ailleurs la perspicacité sans pareille, on se ridiculise doublement. Car si le grand Heidegger  n'était pas en mesure de faire preuve de plus de<br /> discernement que le lumpenproletariat , d'où vient-il que l'on clame partout que sa pensée est la plus actuelle, la plus pertinente pour appréhender les grands enjeux du monde<br /> d'aujourd'hui? En termes de conséquences pratiques, il y eut un test très simple de ce que pouvait apporter cette pensée au moment de faire le choix décisif: le résultat fut pitoyable, effroyable<br /> même. Un "grand penseur" à la remorque des brûleurs de livres.<br /> <br /> <br /> Qu'on choisisse donc: ou la pensée de Heidegger n'est que spéculation abstraite sans aucune conséquence pratique sur les choix que nous pouvons avoir à faire, et alors oui, son adhésion au<br /> nazisme ne la disqualifie nullement. Ou bien cette pensée a le pouvoir que les Paroliers des Jours lui prêtent, et dans ce cas c'est bien E Faye qui a raison: il faut la bannir de nos<br /> bibliothèques... Je pencherais plutôt, pour ma part, pour la première hypothèse, finalement plus charitable pour Heidegger mais problématique pour ses sectateurs les plus fanatiques.<br />
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